Au Sénégal, une étude sur l’hygiène menstruelle s’intéresse pour la première fois à l’excision
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Les mutilations génitales féminines ont-elles des conséquences sur la gestion de l’hygiène menstruelle ? C’est à cette question qu’ont tenté de répondre pour la première fois une équipe de chercheurs.
C’est une étude pionnière que vient de réaliser au Sénégal le programme conjoint WSSCC-ONU Femmes sur le genre, l’hygiène et l’assainissement : dans quatre régions du pays (Kédougou, Kolda, Matam et Sédhiou), une équipe de recherche a tenté d’élucider les liens entre mutilations génitales féminines et gestion de l’hygiène menstruelle.
En Afrique subsaharienne, la gestion de l’hygiène menstruelle est encore très peu prise en compte dans les politiques publiques : de ce fait, peu de données, qu’elles soient quantitatives ou qualitatives, existent sur les pratiques des femmes en matière d’hygiène. Dès 2015, le WSSCC et ONU Femmes ont voulu combler ces lacunes et conduit une première étude dans la région de Kédougou, au Sénégal. Celle-ci avait montré que les connaissances des femmes sur ce sujet étaient très rudimentaires, surtout en milieu rural. Surtout, l’étude avait révélé que près d’une fille excisée sur quatre avait souffert d’infections pendant ses menstruations. Dans la région de l’étude (Kédougou), 80 % des femmes sont excisées. Au plan national, la prévalence des mutilations génitales féminines au Sénégal est de 28 %. Il était donc nécessaire de mener une enquête plus vaste, dans différentes régions du pays, afin d’évaluer les conséquences de ces mutilations sur l’hygiène menstruelle.
Au total, 1250 personnes ont été interrogées : 500 femmes excisées, 500 femmes non excisées, et 250 hommes (pour comprendre leurs connaissances et leurs perceptions des problèmes féminins). Quatre régions du Sénégal ont été choisies : deux (Kédougou et Kolda), à forte prévalence de mutilations génitales féminines, et deux (Sédhiou et Matam), à prévalence moyenne. Des questionnaires ont été administrés, et des discussions de groupe ont été réalisées, pour obtenir des données aussi bien qualitatives que quantitatives.
Peur et gêne chez les femmes excisées
L’étude a montré que la façon dont les menstruations étaient perçues dans la société et au plan religieux engendraient un important sentiment de peur et de gêne chez les femmes excisées. Celles-ci sont davantage victimes de stigmatisation ou d’isolement pendant leurs règles : elles sont 7 % de plus (que les femmes non excisées) à s’isoler volontairement, ou à être isolées par les autres membres de la famille, pendant cette période. Outre l’isolement forcé, les restrictions qui leur sont imposées peuvent être la réduction de leur mobilité, des interdits alimentaires, voire l’interdiction de mener certaines activités. Globalement, la fréquence de l’isolement est cependant peu élevée dans les quatre régions de l’étude.
Par ailleurs, ces femmes excisées connaissent davantage de problèmes de santé liées aux menstruations. Interrogées sur les troubles qu’elles ressentent lors de leurs règles, les femmes citent des « le manque d’appétit, des maux de tête, des maux de ventre, des douleurs dans l’abdomen et au dos ». En outre, certaines affections liées à une mauvaise manipulation des serviettes hygiéniques sont plus fréquentes chez les femmes excisées que chez celles qui ne le sont pas : parmi elles, on compte les infections vaginales. Dans l’ensemble de l’étude, environ 27 % des femmes (excisées ou non) signalent des problèmes de santé pendant leurs menstruations.
De manière générale, l’étude indique que les serviettes hygiéniques jetables ou à usage unique sont le type de protection le plus utilisé pendant les menstrues ; en milieu rural et en partie en milieu urbain, les femmes utilisent également les tissus réutilisables, car elles estiment que c’est un moyen « sûr et hygiénique ». Le lavage des protections hygiéniques réutilisables s’effectue généralement au savon et avec du sel.
De bonnes connaissances physiologiques
Qu’elles soient excisées ou non, les femmes ont une bonne connaissance des menstruations, notamment des raisons pour lesquelles elles surviennent, de la durée normale des règles, de celle du cycle menstruel et des conséquences d’une mauvaise hygiène menstruelle sur la santé. Ce constat concerne toutes les régions de l’étude, à l’exception de Sédhiou, où la connaissance des menstruations est moins bonne. Par ailleurs, il ressort de l’étude qu’en dehors de l’âge des premières règles, les hommes savent peu de choses sur les menstruations, en particulier dans les régions de Sédhiou et de Matam.
Introduire l’hygiène menstruelle dans les campagnes contre l’excision
Pour faciliter l’intégration de la gestion de l’hygiène menstruelle dans les politiques publiques et les stratégies de développement, les auteurs de l’étude émettent diverses recommandations appuyées sur les constats qu’ils ont dégagés. Ils appellent par exemple à introduire la gestion de l’hygiène menstruelle dans les campagnes de lutte contre l’excision et les mariages précoces et à rappeler les risques encourus par les femmes, notamment pour leur santé et leur vie sexuelle. Les chercheurs invitent également à mener des campagnes de sensibilisation auprès des filles dans les écoles, les communautés, auprès des autorités locales et des hommes, notamment dans les régions de Sédhiou et de Matam.
Téléchargez la lettre d'information du programme conjoint ici