Dans les propos de Fatima Zahra Ba : « Chacun d’entre nous doit être un activiste et parler des violences faites aux femmes et aux filles »
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Fatima Zahra Ba, 25 ans, est diplomée en relations internationales et en droit public. Elle est aussi styliste, créatrice de la marque So’fatoo qui promeut le savoir-faire local et la culture africaine. Dans le cadre de la campagne des 16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes et aux filles, et avec le soutien d’ONU Femmes Sénégal, elle a lancé la campagne Doyna qui vise à mettre fin à ces violences à travers une sensibilisation massive des populations sénégalaises, notamment les jeunes. Aujourd’hui cette campagne réunit une communauté de près de 10.000 personnes sur les réseaux sociaux et a reçu plus de 50 témoignages de survivantes de diverses formes de violences basées sur le genre dont une trentaine d'histoires partagées avec les abonnés. 30 designers sénégalais et autant de personnalités du milieu culturel et digital y ont pris part pour livrer des messages de sensibilisation contre différentes formes de violences faites aux femmes.
« Une personne proche de moi a été victime d'une agression sexuelle de laquelle a résulté un grave traumatisme et des conséquences qui jusqu'aujourd'hui l'affectent elle et son entourage. D’un point de vue personnel, c’est cette expérience qui m'a rendue sensible à cette cause. Mon passage au ministère de la Femme, de la Famille et du Genre a également impulsé mon engagement pour l’élimination des violences faites aux femmes.
De plus, je me sens concernée par cette cause car en tant que femme, je suis une potentielle victime. En tant que musulmane, je me sens concernée car c’est à l’encontre des principes de ma religion, et en tant qu’Africaine également car ce n’est, à l’origine, pas dans notre culture. En tant qu'être humain tout court car le premier article de la Déclaration universelle des droits humains me renforce dans ma conviction que tout le monde doit être féministe. Nous devons être 7 milliards à croire que nous naissons libres et égaux en droits et en dignité, à accepter que la réalité actuelle est défavorable aux femmes et à vouloir que cela change. Pour moi, c'est ça le féminisme.
Dans notre société, les violences basées sur le genre sont fortement tolérées et cela ne peut disparaître que lorsqu’un grand nombre de citoyens sénégalais aura pris conscience de la gravité du problème. Avec l’appui du programme Sénégal d’ONU Femmes, j’ai donc lancé la campagne Doyna durant les 16 jours d’activisme pour sensibiliser les Sénégalais, notamment les jeunes, sur les violences faites aux femmes et aux filles.
La campagne n’a pas été facile. Nous avons subi les critiques de personnes qui ont vu d’un mauvais oeil le fait que nous abordions, sans langue de bois, des sujets considérés par beaucoup comme tabou. Mais nous sommes prêts à endosser toutes les critiques. Notre mission est de faire bouger les lignes et cela dérangera forcément toutes les personnes qui se complaisent dans ce tracé. Mais c’est un pari que nous pouvons réussir en unissant nos forces. Nous sommes déjà en bonne voie.
Aussi bien sur nos comptes sur les réseaux sociaux que lors des événements que nous avons organisés, les gens se sont mobilisés en masse. C’est important car ils relaieront à leur tour les messages de la campagne. Chacun d’entre nous doit être un activiste, parler des violences faites aux femmes et aux filles et, surtout, constituer un rempart pour les potentielles victimes autour de lui. Sur Twitter, près de 800 personnes ont rejoint le mouvement en ajoutant un coeur orange à leur nom de compte en signe de ralliement.
Beaucoup peuvent se dire qu’une campagne comme Doyna n’a pas de sens car les personnes impliquées ou touchées ne sont peut-être pas celles concernées ; mais qu’ils se détrompent. Dans chaque maison, il y a un cas : une amie, une cousine, une mère peut être, qui souffre d’une forme de violence. Parce que les formes de violence sont nombreuses et pernicieuses. Il est important de se dire que même si nous n’en sommes pas victimes, nous pourrions éventuellement l’être ou être les parents ou les amis de victimes.
Pour modifier le statu quo, il faut d'abord un changement des mentalités. Les violences basées sur le genre doivent être condamnées par tous parce que c'est quand la condamnation est totale que les choses peuvent changer pour permettre aux victimes de briser le silence et d’oser dénoncer. Il est également urgent de créer une synergie entre les acteurs et de mutualiser les mécanismes de prise en charge au sein de structures uniques car le manque de dispositifs de prise en charge et le morcellement des efforts rendent la tâche plus ardue.
Toutes ces mesures ne sauraient être pleinement efficaces sans un cadre législatif exempt de discrimination et un système judiciaire intransigeant face aux auteurs des violences. Chacun de ces points constitue un plaidoyer qu'il nous faudra porter ensemble, avec tous ceux qui veulent le changement et oeuvrent pour le réaliser. »