Toutes les nuits les filles reçoivent la visite d’un nouvel homme, d’un « nouveau mari » : Saran Keïta Diakité raconte

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Saran Keïta Diakité est avocate malienne et présidente du Réseau paix et Sécurité des Femmes de l’espace de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) section du Mali. A l’occasion de la Conférence internationale de haut niveau pour le soutien et le développement du Mali, elle nous parle dans ses propres mots sur les atrocités qui se produisent dans son pays, qui a été en proie à l’instabilité politique et la prolifération des groupes armés qui ont déraciné plus de 415.000 personnes depuis un coup d’état militaire en Mars 2012. Elle parle aussi du travail de son ONG, soutenu par ONU Femmes, pour aider les survivantes de violence, offrir l’accès à la justice et à s’assurer que les femmes ont leur mot à dire dans les négociations de paix. Elle était l’une des quatre médiateurs femmes qui ont participées aux négociations de paix du 15-17 Avril 2012, à Ouagadougou, Burkina Faso. Saran a récemment pris la parole en Avril lors du débat ouvert du Conseil de sécurité de l’ONU sur la violence sexuelle liée aux conflits, à New York.

Saran Keïta Diakité (à droite), s’exprime au nom de la branche malienne du Réseau Paix et Sécurité des Femmes de l’espace de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest, durant le débat du Conseil de sécurité sur la violence sexuelle dans les conflits, le 17 Avril 2013, à New York.
Saran Keïta Diakité (à droite), s’exprime au nom de la branche malienne du Réseau Paix et Sécurité des Femmes de l’espace de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest, durant le débat du Conseil de sécurité sur la violence sexuelle dans les conflits, le 17 Avril 2013, à New York. 

« C’est vrai qu’il y a eu un génocide au Rwanda, il y a eu des cas de viols au Congo, mais ce qui s’est passé au Mali est inédit.

Les résultats d’une étude commanditée par ONU Femmes les premières heures de la crise dans les régions de Gao, Menaka et Ansongo au mois d’Avril et Mai 2012 et en Septembre 2012, font état de plus d’une centaine de cas de viols individuels ou collectifs. Quand ces dames parlent de ce qui s’est passé, c’est abominable. L’âge des victimes varie de 9 ans à 70 ans. Imaginez-vous l’horreur que ces survivantes ont vécues.

Partout dans ces régions occupées, des filles sont mariées de force et quand un islamiste te marie, la nuit rassure-toi que tu as la visite d’au moins quatre ou cinq personnes et toutes les nuits tu as la visite d’un nouvel homme, d’un « nouveau mari ». Une fille m’a dit, « c’est par l’odeur que j’ai compris que chaque fois c’était un nouvel homme qui venait vers moi. Je sentais chaque fois une nouvelle odeur que je n’avais pas sentie la dernière fois. »

Les islamistes font des mariages religieux pour échapper des filets de la juridiction pénale internationale. Ils mettent la forme de ‘mariage’, donc la nuit tu fais l’esclave sexuel, le jour tu es là pour faire le thé pour les hommes, pour faire leurs petits souhaits. Donc c’est ce que j’ai l’habitude de dire, ce qui s’est passé au Mali est inédit.

Dire qu’on utilise le viol comme arme de guerre, c’est exact.

Imaginez à Gao, des hommes armés sont rentrés dans une famille. Le mari était là, ils prennent sa femme, violent sa femme ainsi que sa fille ; tenez-vous bien ils l’obligent à violer sa fille. C’est horrible! Quand tu fais ça à un homme, il ne peut plus être quelqu’un. Même s’il veut réagir, il ne peut pas. Ça c’est naturel, c’est humain.

Quelqu’un qui fait du corps de la femme un trophée de guerre, il a gagné d’avance le combat. Il n’a pas besoin de prendre une autre arme, il gagne à l’avance.

ONU Femmes

Soutenu par ONU Femmes, Saran et son Réseau aident les victimes de la violence au Mali.
Soutenu par ONU Femmes, Saran et son Réseau aident les victimes de la violence au Mali.

En réponse à cette crise, ONU Femmes en partenariat avec le Gouvernement et les organisations de la société civile dans les régions de Tombouctou, Kidal, Gao, Mopti, Ségou, Koulikoro, et Kayes assurent la mise en œuvre d’un Programme d’assistance aux femmes et filles affectées par la situation de confit et participation des femmes au processus de consolidation de la paix. Ce programme vise à apporter une réponse multiforme, à savoir la participation de la femme à la résolution du conflit et le retour à la paix, l’accès à l’information et aux services de prise en charge des violences basées sur le Genre, l’assistance psychosociale et médicale (consultation et frais des médicaments), ainsi que le renforcement économique aux femmes et filles déplacées, et la représentativité accrue des femmes dans les organes post-transition.

ONU Femmes a appuyé l’Association des Juristes Maliennes (AJM) pour la mise en œuvre d’un projet de prévention et de prise en charge des femmes et filles victimes du conflit au Mali. Des unités de prise en charge holistique furent mis en place à Bamako, Mopti et Kati, afin que les communautés, notamment les femmes et filles victimes de ces atrocités, qui sont atteintes psychologiquement puissent aller dans ces unités de prise en charge. Et les psychologues, les juristes et médecins pour la référence sont là, à leur disposition.

ONU Femmes a aidé les femmes à avoir accès à leurs ordonnances et les a dirigé vers des centres de santé où elles vont être prises en charge par l’association de juristes maliens, financé par ONU Femmes. Ce projet a permis d’identifier plusieurs cas de viols individuels ou collectifs et un fonds spécial est mis à disposition pour assurer la prise en charge juridique de ces victimes sur la base d’un volontariat.

La réparation d’un préjudice est très difficile quand on doit prendre au cas par cas, parce-que quand on a en face de soi un avocat qui n’est pas bien intentionné, le fait de demander des dédommages d’intérêts peut être assimilé à une sorte de prostitution de la part de la personne qui a été violée, alors que ça n’est pas de la prostitution.

Quand une fille est violée, elle est rejetée de la société, elle n’as pas de mari. Et quand son mari comprend que sa femme est violée, elle est tout de suite rejetée. Donc, avec tout ça, une femme violée, s’il faut qu’elle vienne demander la réparation du préjudice à cause du viol, on peut assimiler ça à de la prostitution : prendre de l’argent parce qu’on t’a violée. Alors ça doit faire encore plus mal. Mais j’ai dit qu’il faut faire des dédommagements collectifs. En faisant des dédommagements collectifs on ne saura pas qui a eu quoi, ce qui a été donné à qui, mais les victimes de ces viols, elles vont comprendre ce que c’est passer et ça va rester entre elles. Et ça passe mieux dans notre société.

Quand on sait la lourdeur et la lenteur de la machine judiciaire, aussi bien nationale qu’internationale, quand on va se mettre à faire juger tous ces cas par les juridictions institutionnelles, ça risque de prendre trop d’années, ça risque d’être long et entre temps, des victimes sont là et ne sont pas dédommagées. Mais on peut commencer par la justice de transition, faire venir les coupables pour qu’ils puissent reconnaitre leurs torts, pour qu’ils puissent présenter des excuses et faire un dédommagement à la suite de tout ça pour que les gens puissent apprendre à revivre ensemble.

On doit obligatoirement parler de ces cas de viols. Durant mon intervention récente au Conseil de sécurité, j’ai demandé un fonds d’indemnisation pour ces victimes de viol, et que ce fonds puisse être mis à la disposition des organisations de la société civile et pour que les femmes qui sont là puissent parler de ces cas, pour qu’elles puissent avoir un soutien conséquent.

La nécessité d’inclure les femmes dans les négociations pour la paix

(De gauche à droite) Soyata Maiga, Saran Keïta Diakité, Réseau paix et Sécurités des Femmes, REPSFECO-Mali, et Diarra Afoussatou Thiero assistent à une session de formation d’ONU Femmes sur la médiation avant de participer à des négociations de paix à Ouagadougou en Avril 2012. Crédit photo: REPSFECO / Mali 
(De gauche à droite) Soyata Maiga, Saran Keïta Diakité, Réseau paix et Sécurités des Femmes, REPSFECO-Mali, et Diarra Afoussatou Thiero assistent à une session de formation d’ONU Femmes sur la médiation avant de participer à des négociations de paix à Ouagadougou en Avril 2012. Crédit photo: REPSFECO / Mali

Lors de notre participation dans les négociations de la crise du Mali, qui ont eu lieu en Ouagadougou, Burkina Faso en avril de 2012 – une participation qui fut facilitée très rapidement par ONU Femmes – j’avoue très sincèrement, on nous a bien écouté, et toutes les préoccupations dont on a fait cas ont été prises en compte dans la résolution, dans la Déclaration finale de Ouagadougou. Mais cette rencontre de médiation était la première fois pour moi.

Si on veut faire une négociation, on doit faire appel à tout le monde, on ne peut pas faire des négociations et oublier plus de la moitié de la population.

Vous savez, la femme est au cœur de la paix. C’est la femme qui connait la valeur de la vie. C’est la femme qui aime la vie. C’est la femme qui donne la vie. C’est la femme qui sauve la vie. Et c’est la femme qui est prête à donner sa vie, pour que notre vie puisse naitre de sa vie. Donc c’est la femme qui peut parler des négociations, c’est la femme qui sait faire la négociation. La négociation est, c’est comme l’essence de la femme. Pouvoir aller aux négociations sans femmes ça veut dire qu’on a échoué. On ne peut pas négocier sans la femme.

On sait que les conflits armées ce sont les femmes qui paient le plus lourd tribut. Les femmes ne demandent pas à faire la guerre. Les femmes ne font pas la guerre. Mais les femmes sont les premières victimes de la guerre. Les femmes avec leurs enfants. Les femmes avec leurs époux. Les femmes avec leurs frères. Chaque fois qu’il y a perte quelque part, c’est les parents, le frère, l’enfant, le mari d’une femme. Donc la femme est au cœur de ce problème-là.

Il faut obligatoirement l’implication effective, effective j’ai dit bien, et à toutes les phases de gestion d’une crise, il faut l’implication de la femme. Une crise gérée sans femme, ça va à l’échec. Les crises passées chez nous, les humiliations qui ont eu lieu, les femmes n’étaient pas à la table de négociation. Voilà ce que ça a donné comme résultat.

Nous avons un plan d’action du Réseau, qu’ONU Femmes soutient. Nous avons plusieurs activités de formation, médiation, négociation, et des activités de plaidoyer pour que les femmes puissent comprendre leurs droits pendant cette période de conflit, des activités de vulgarisation des Résolutions du Conseil de sécurité 1325, 1820, 1889 … pour que les femmes puissent comprendre que tous ces instruments sont là pour elles, pour que les femmes puissent comprendre que la situation qu’elles vivent aujourd’hui, peut-être qu’elles ne comprennent pas leurs droits, mais il y a des droits spécifiques, des droits qui sont là en période de conflits qui sont là pour ces femmes-là. »

Liens connexes :

[i]Ministère de la famille, de la Promotion de la femme et de l’Enfant, le Ministère de la défense et des forces armées et de sécurité, le Ministère en charge de la décentralisation, le Ministère de la Justice et le Ministère du développement social et de l’action humanitaire.