Reportage : « La transformation artisanale du beurre de karité peut être dangereuse et pénible, mais j'encourage vivement mes sœurs à ne pas abandonner ce secteur qui peut nous rendre autonome, de façon durable »

« La transformation artisanale du beurre de karité peut être dangereuse et pénible, mais j'encourage vivement mes sœurs à ne pas abandonner ce secteur qui peut nous rendre autonome, de façon durable »

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Lydie Rachelle Kambou

Lydie Rachelle Kambou. Présidente de la coopérative des productrices du karité de la région du Bounkani.  Photo : ONU Femmes/ Yulia Panevina

Une enfance difficile et un amour inné pour l’agriculture

“ J’avais 14 ans quand j’ai dit à mon père que je voulais rentrer à mon village d’origine. Sans bien comprendre et parler ma langue maternelle et sans connaître personne à Bouna, j’avais le sentiment que les femmes du milieu rural m’interpellaient. Mon père a essayé de me dissuader car j’étais brillante à l’école, mais j’y suis allée quand même. Je pense que c’est l’agriculture qui m’a attirée vers le village et je pense que c’est dans ce secteur que se trouve mon salut.  Mon père qui était tout pour moi et mon principal soutien, est malheureusement décédé le 8 mai 1989, abattu à bout portant par des bandits. Après le décès de papa, j’ai pu continuer les cours jusqu’en classe de 3ème grâce à l’aide de mes professeurs. Je pense que mon amour pour l’agriculture et les femmes en milieu rural est inné et cet amour a grandi lorsque sur le chemin de l’école je voyais les femmes en pleine production du beurre de karité braver toutes les difficultés possibles

Je me suis retrouvée obligée de quitter l’école pour que ma mère assure la scolarité de mes petits frères, j’ai quand même pu suivre trois (3) ans de formation pour apprendre la couture et après les petits commerces. 
Je suis rentrée dans la vie associative en 2000, avec mes jeunes sœurs pour créer une association de femmes Lobi, les femmes de ma communauté, afin de faire connaître la cuture de mon peuple à Abidjan. L’objectif était d’être représentées au musée des civilisations de la Cote d’Ivoire. En 2015, je suis retournée au village pour former les femmes productrices de karité et créer ma coopérative des productrices du karité de la région du Bounkani. Mon arrivée a permis d’organiser les femmes qui ont commencé à travailler et à se déplacer en groupe pour faire face aux dangers et trouver des équipements pour réduire un tant soit peu, la pénibilité de la collecte. 

La collecte et la transformation du karité, une tâche lourde et rédhibitoire

Je vais vous décrire le processus de production du beurre de karité pour que vous puissiez comprendre la lourdeur de la tâche.
Les fruits du karité commencent généralement à tomber à partir du 1er mai. C’est un fruit comme le raisin, sucré de manière naturelle et très bon pour la santé. C’est un fruit qu’on ramasse entre le mois de mai et de juillet. C’est une activité matinale car sa collecte est en réalité une course entre les bœufs et les femmes, car les bœufs mangent aussi les fruits du karité. La collecte du karité est dangereuse car les femmes sont obligées de se lever tôt, à 5 heures du matin, et c’est là que nous constatons malheureusement des drames tels que des viols, des meurtres. Les femmes sont obligées de faire 25, 30, parfois 40 km à pied pour aller chercher le bon karité qui pourra être transformé. Les difficultés de la filière du karité sont énormes : ne pouvant transporter 100 kilos de karité, les femmes s’asseyent en brousse pour dépulper les fruits, et n’ayant pas d’équipement pour en faire du jus, du sirop ou de la confiture avec cette pulpe de karité de laquelle elles pourraient tirer du revenu, elles se retrouvent obligées de jeter cette pulpe depuis des décennies.

Après la cueillette, les femmes ne reviennent au village qu’avec les noix. Certaines transportent 30 kilos, d’autres 25 kilos et elles sont obligées de le faire pendant les 3 mois de collecte. Une fois au village, il faut automatiquement cuire les noix qui ne doivent pas dépasser 3 jours. Il y a des villages où il n’y a même pas une pompe hydraulique, il n’y a que de l’eau sale pour cuire les noix, ce qui gâte toute la production. Il faut absolument de l’eau potable pour la production, du coup, les femmes vont refaire 10 ou 15 km pour aller chercher de l’eau potable et revenir pour commencer la cuisson. Après cuisson, il faut sécher. Comme nous n’avons pas de séchoir, il faut deux semaines pour sécher les noix au soleil et 3 semaines pour sécher les amandes. Pour décortiquer les noix et récolter l’amande de karité, il faut s’asseoir sous le soleil avec un bout de bois pour concasser de manière artisanale les amandes délicatement pour ne pas les fissurer. Par la suite, il faut vanner avec le vent pour séparer la coque des amandes. Au fur et à mesure qu’on sèche, il faut trier les amandes noires pour qu’enfin, au bout de trois semaines, avoir des amandes bien sèches, les mettre dans un sac et les conserver dans nos cuisines. Pour l’étape finale, il faut mettre les amandes dans le mortier pour les piler, écraser et faire le barattage, laver la pâte avant de cuire le beurre de karité pour finalement obtenir du beurre de karité de qualité. 

Me concernant, grâce à la formation que j’ai reçue, je transforme ce beurre débarrassé de toutes les impuretés pour avoir une crème de karité sous emballage parce que je veux respecter l’environnement, je veux pérenniser l’emballage traditionnel qui veut qu’on mette le beurre dans une calebasse ou un canari, afin d’en garder la saveur et la qualité. A côté, je valorise aussi les tourteaux de karité, c’est du charbon écologique. Ce charbon vient des résidus du barattage pendant la production du beurre. 

Le karité fini sous emballage traditionnel en calebasse.
Le karité fini sous emballage traditionnel en calebasse. Crédit photo : ONU Femmes/Yulia Panevina
Les tourteaux du karité aussi utilisés comme charbon biologique.
Les tourteaux du karité aussi utilisés comme charbon biologique. Crédit photo : ONU Femmes/Yulia Panevina

 

Un soutien indéfectible de la part d’ONU Femmes m’a rendue résiliente

Si aujourd’hui je suis cette femme aguerrie, formée et battante, c’est parce que j’ai été inspirée par une consultante d’ONU Femmes du nom de Mame Khary Diene. En plus de la formation en transformation de karité et de produits dérivés à base de beurre de karité, j’ai pu personnellement bénéficier de ses précieux conseils qui m’ont permis de tenir parce qu’à un moment donné, je voulais tout abandonner, car je n’avais personne pour m’aider.  C’est pour cette raison que je dis souvent que la seule porte qui m’a été ouverte, est la porte de ONU Femmes Côte d’Ivoire. 

Au-delà de la formation, nous avons bénéficié grâce à ONU Femmes de la Certification Biologique du beurre de karité de Côte d’Ivoire de la coopérative des femmes du Bounkani et la coopérative des femmes du Tchologo, ce qui a été nous a donné de la visibilité partout dans le monde. J’ai pu participer au salon de l’agriculture et des ressources animales en 2019 (SARA 2019) en France. C’est ONU Femmes qui m’a prise en charge pour que je puisse exposer et vendre mes produits à base de beurre de karité et c’est à ce salon que j’ai fait la connaissance de deux français. Un qui m’a offert sa plateforme pour ma vente du beurre de karité dans toute la France et un autre qui m’a permis d’avoir un équipement. Toujours grâce à ONU Femmes Côte d’Ivoire, deux femmes de la coopérative ont pu participer à un grand rendez-vous aux Etats-Unis, à New York où il y a eu de très belles opportunités puisque nous venions d’avoir la certification européenne et américaine. ONU Femmes a donc jugé utile de nous faire partir pour nous créer des connexions avec des industriels du chocolat et des cosmétiques pour qu’on puisse avoir des opportunités de ventes de ce beurre bio. 

Finalement, même si les défis sont énormes, mon rêve est d’inonder le monde entier de beurre de karité de Côte d’Ivoire. Malgré toutes ces difficultés, je garde espoir qu’un jour, un investisseur viendra nous fournir des équipements pour que nous puissions transformer cette matière précieuse à l’échelle industrielle.

ODD 5

Kambou Lydie Rachelle est originaire du Bounkani, région du Nord-Est de la Côte d’Ivoire. Situé entre le Ghana et le Burkina Faso. Issue d’une famille de 33 enfants, elle est mariée et mère de deux filles et grande-mère d’une petite fille. Elle est la Présidente de la société coopérative des productrices du karité de la région du Bounkani, et 2ème vice-présidente de l'organisation interprofessionnelle agricole Karité de côte d'ivoire (O I A karité ci), également présidente de l’alliance des femmes entrepreneures et solidaires de Côte d’Ivoire dénommée AFESCI Groupe, une association qui regroupe une cinquantaine de femmes dans la transformation de matières premières locales. Lydie encourage les mamans et les jeunes filles qui veulent abandonner la production du beurre de karité à cause de la pénibilité, à garder espoir. Car pour elle, le secteur du karité est porteur et son combat à elle, est d’œuvrer à obtenir des équipements dernier cri pour réduire la pénibilité du travail de ces femmes et leur redonner le sourire afin de réaliser la vision de l’Objectif de Développement Durable 5 qui vise à atteindre l’égalité des sexes et l’autonomisation de toutes les femmes.