Sénégal: Entretien avec une inspiration en action : Aïcha, Doctorante en virologie moléculaire

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Interview avec Aicha
Entretien avec Aïcha, Doctorante en virologie moléculaire Photo : ONU Femmes/ Alioune Ndiaye

« J’ai longtemps cherché ma voie - dans les études - parce que je n’avais pas de modèles pour m’inspirer. »


Aïssatou Aïcha Sow est doctorante en virologie moléculaire à l’Institut National de la Recherche Scientifique (INRS), au Canada. Actuellement chercheuse dans un laboratoire, elle travaille sur le virus Zika et a participé aux recherches et à la vulgarisation scientifique lors de la pandémie de COVID-19. Initiatrice d’une bourse pour les jeunes sénégalaises en STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques), elle est active sur les réseaux sociaux, une plateforme utilisée pour montrer ses expériences et inspirer les filles à s’engager en science.


Quel a été votre parcours ?
J’ai eu un long parcours non linéaire. J’ai commencé par un bachelor (B.Sc.) en biologie mais ce programme d’étude ne me plaisait pas. Ensuite, j’ai entamé un B.Sc en Sciences Biomédicales et puis un master (M.Sc.) en génétique. J’ai abandonné ce master pour en entreprendre un autre en Biochimie appliquée à l’industrie. Entre deux programmes d’étude, j’ai également pris des mois sabbatiques. Actuellement, je suis en quatrième année de doctorat en virologie et immunologie à l’Institut National de la Recherche Scientifique et je travaille comme chercheuse dans un laboratoire. Mes domaines de recherche portent principalement sur le virus Zika et sur celui de la dengue.
 
Pourquoi avez-vous mis autant de temps à trouver votre voie ?
Le baccalauréat scientifique en poche, je ne savais pas quelle formation universitaire entreprendre. À cette époque, je croyais que la science se limitait à la médecine et à la pharmacie, alors que je ne me voyais pas être médecin ou pharmacienne. J’ai longtemps cherché ma voie- dans les études- parce que je n’avais pas de modèles pour m’inspirer. Je ne connaissais pas de femmes scientifiques qui auraient pu me donner l’envie de découvrir et faire d’autres métiers dans le domaine des sciences. Je ne savais pas qu’il existait des métiers comme biochimiste, biologiste ou encore virologiste. 
 

Interview avec Aicha

Selon vous, est-ce que les scientifiques sénégalaises sont sur le devant de la scène ?
De manière générale, les femmes scientifiques sont de plus en plus reconnues. Cependant, le profil de scientifiques africaines reste très peu connu.  C’est pour cela qu’en 2020, j’ai créé sur Twitter le hashtag #WomenInSTEMInspire pour trouver des femmes dans les STEM et pour qu’elles parlent de leurs parcours, de leur quotidien, de leur source de motivation et des défis auxquels elles font face. Je voulais également offrir à d’autres jeunes filles la chance que je n’ai pas eue : celle d’avoir des modèles pour leur montrer la route. Grâce à cet hashtag, j’ai pu rencontrer plusieurs femmes qui ont confirmé ce que je pensais : elles se sont lancées dans les études puis dans les carrières sans avoir de modèles. 

Tout au long de votre parcours, quelle a été votre plus grande difficulté ?
En plus du défi de manque de modèles, en tant que sénégalaise, l’autre difficulté, ce sont les réflexions : « Tu es à l’université depuis 12 ans, quand vas-tu arrêter ? ». Certains vont jusqu’à dire que je ne trouverai pas le temps de fonder une famille si j’en consacre autant pour les études et la recherche !  
Dans nos cultures, où le rôle de la femme est principalement axé autour de la gestion de la maison et de l’éducation des enfants, c’est mal vu de mener une longue carrière scientifique. Par exemple, je sais lorsque mes journées commencent mais je ne sais jamais quand elles se terminent, et cela est souvent incompréhensible.
Je pense que les réflexions viennent du fait que les gens méconnaissent le milieu scientifique, souvent mythifié et où on pense que les femmes n’ont pas leur place. Je prends ces réflexions comme elles sont : un manque d’informations. 


Que faites-vous pour aider d’autres jeunes filles à emprunter le même chemin que vous ?
J’ai créé une bourse de persévérance qui s’appelle « Jigeen [femme en wolof] in STEM». L’année dernière, six bourses ont été octroyées pour permettre à des jeunes filles intéressées par les STEM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) de couvrir leurs fournitures scolaires et les frais d’inscription. Pour le moment, je finance cette bourse avec mes propres moyens, mais j’aspire à trouver des sources de financement pour la pérenniser. 
Sur les réseaux sociaux, je reçois des messages de femmes qui se disent inspirées par mon parcours. J’essaie d’être le mentor de certaines jeunes filles pour leur apporter mon soutien tant au niveau personnel que professionnel. Selon un rapport récent de l’UNESCO, seuls 23 pour-cent des chercheurs sénégalais en sciences naturelles sont des femmes, alors que nous représentons plus de 50 pour-cent de la population. Les femmes intègrent de plus en plus les domaines scientifiques, mais elles n’y restent pas. À mon avis, il faut faire en sorte qu’elles puissent développer une carrière scientifique épanouissante et pérenne. Les individus ne réalisent pas forcément tous les défis auxquels les femmes sont confrontées dans leur carrière scientifique. Les décideurs devraient s’y pencher en mettant en place des programmes et des politiques destinés aux femmes afin de briser le plafond de verre qui les empêche d’avancer. 


Aïssatou Aïcha Sow, par son engagement, œuvre à l’atteinte de l’ODD 4, dont l’objectif est de fournir une éducation de qualité et accessible aux jeunes filles et aux femmes.